Au Canada, en 2016, le taux d’habitants ayant comme langue maternelle l’anglais était affiché à 57% (contre 8.1% au Québec), le français à 21% (contre 78% au Québec), alors que les tierces langues apparaissaient en forte hausse à 22%. (Source : L’évolution des populations de langue maternelle au Canada, de 1901 à 2016, Statistique Canada, 21 février 2018)

Toujours au Canada, on compte depuis deux ans déjà, 130 langues immigrantes au pays. 

Avec cette nouvelle ouverture sur le monde, les langues deviennent à la fois un atout et une difficulté bien présente.

Depuis mon expatriation en Asie, j’ai rencontré un obstacle de taille. Vous vous doutez bien qu’il s’agit de la barrière langagière. Cette difficulté quotidienne m’a inspirée mon entrevue avec Annie Mustillo Lefebvre, maman de famille, également expatriée au Japon.

[ Fleur bleue ] Annie, merci d’avoir accepté de me partager les différentes phases de ta vie qui font référence aux langues d’usage.

Tu vis présentement au Japon avec ton mari et tes deux enfants, Eva (3 ans et demi) et Dax (1 an et demi), et ce depuis maintenant 2 ans. Comment arrivez-vous à vous adapter à une langue aussi unique que le Japonais ?

[ Annie ] Heureusement, je parlais déjà très bien l’anglais à notre arrivée au Japon. Mon mari est anglophone et on parle fréquemment deux langues (français et anglais) à la maison, alors notre fille était elle aussi en mesure de comprendre les échanges qui se déroulaient en anglais. Par contre, très peu de Japonais maitrisent l’anglais alors j’ai rapidement dû apprendre leur langue pour communiquer.

[ Fleur bleue ] Quel(s) défi(s) as-tu rencontré pendant l’étude du japonais ? 

[ Annie ] (rires). Je suis arrivée au pays enceinte de 7 semaines et Eva avait seulement 2 ans alors l’apprentissage de la langue reposait entièrement sur mes épaules pour que je puisses bien transmettre l’information concernant les besoins de ma famille. 

J’ai débuté des cours privés pour apprendre le japonais. J’ai pris une pause d’environ 6 mois pour gérer l’arrivée de bébé Dax dans la famille. À ce moment, j’ai réalisé que je ne maitriserais probablement jamais parfaitement cette langue à cause de sa complexité, alors j’ai repris les cours, mais avec un objectif plus réaliste en tête.

La langue n’a pas une phonétique ni une syntaxe qui se rapproche dans l’anglais, du français ou d’autres langues que je connaisse. C’est extrêmement difficile et décourageant. On ne sait pas trop par où commencer en plus d’avoir la pression d’apprendre rapidement.

[ Fleur bleue ] Deux années se sont écoulées depuis votre arrivée, comment te sens-tu aujourd’hui par rapport à cette barrière langagière ?

[ Annie ] J’étudie toujours la langue. J’arrive à communiquer, mais tout est encore très difficile. J’apprends comme un enfant le ferait à l’aide de pictogrammes, d’émissions télévisées, de cahiers d’exercices et de mon professeur, puis en pratiquant.

C’est handicapant et frustrant d’être toujours dépendant d’un dictionnaire ou d’un traducteur, alors que dans ma langue, je peux m’exprimer simplement et naturellement.

Par contre, les Japonais sont très reconnaissants des progrès que je fais. Dès que je les salue dans leur langue, ils sont impressionnés et démontrent une belle gratitude. C’est ma motivation à poursuivre !

[ Fleur bleue ] Est-ce que le japonais suscite la curiosité de ta fille Eva ?

[ Annie ] Totalement ! Pour faciliter son inclusion au pays, on a tenté de l’inscrire à une école préscolaire japonaise, mais on n’était pas qualifiés pour avoir accès à ce service. Elle va donc à l’école internationale depuis notre arrivée, où elle parle seulement anglais.

Dernièrement, elle m’a fait remarqué qu’une de ses amies parlait l’anglais et le japonais et m’a demandé d’apprendre la langue. On l’a inscrite à sa demande, elle suit maintenant deux heures de cours chaque jour après l’école.

[ Fleur bleue ] Plus tôt, tu mentionnais que tu parlais d’autres langues. Peux-tu m’en dire plus ? À partir de quel moment as-tu eu envie d’apprendre à communiquer dans différentes langues ?

[ Annie ] Je suis née en Outaouais, au Québec, où l’anglais n’a pas une place particulièrement importante, alors ma langue maternelle est le français. Mais j’ai toujours été exposée à la télévision en anglais lorsque mon père écoutait les sports. J’ai appris graduellement l’anglais en additionnant ce facteur aux cours de langue seconde obligatoire au primaire et au secondaire. Au CEGEP, j’ai réellement eu un intérêt pour perfectionner mon anglais parce que j’avais des amis qui venaient d’ailleurs et l’anglais était leur langue première. Mon apprentissage s’est fait assez naturellement, je n’ai pas souvenir de m’être assise pour étudier la langue.

Au secondaire, j’ai aussi suivi l’option espagnol pendant deux années, alors j’ai une bonne base. J’ai amélioré mes connaissances pendant mes voyages dans le Sud et j’aspire poursuivre mon apprentissage éventuellement.

Un peu plus tard, j’ai fait la rencontre de mon mari, qui est originaire d’Italie. J’ai donc appris à baragouiner l’italien lors de mes visites chez ma belle-famille, en apprenant majoritairement au son. 

[ Fleur bleue ] Comment gérez-vous le partage des différentes langues à la maison pour Eva et Dax ?

[ Annie ] À la maison, papa s’adresse aux enfants en anglais et moi en français. De cette façon, comme parents, on peut s’exprimer plus facilement et avoir le bon choix de mots pour ne pas paraître rigides (rires). Mon mari me disait que j’étais « rude » à nos débuts quand je parlais en anglais, mais ce n’était pas mon intention ! Ça fait parfois partie de la barrière langagière. 

La priorité est mise sur l’anglais et le français et les autres langues sont un plus, un outil qui demeure inestimable selon moi.

J’essaye d’inclure les langues de manières passives la plupart du temps pour que mes enfants apprennent sans pression, de façon graduelle et légère. Quand on écoute la télévision par exemple, je laisse Eva choisir la langue, on va jouer à un jeux dans une autre langue et je  vais l’inciter à utiliser le français généralement quand elle fait des demandes. Si elle s’exprime en anglais, j’ai tendance à reprendre sa phrase en français et à lui demander de la répéter. Dès qu’elle fait un effort, même si ce n’est pas toujours clair, je la félicite et je réponds à sa demande sans trop m’attarder aux détails. Je ne veux pas que les langues « l’eccoeurent ».

[ Fleur bleue ] Si tu avais à apprendre une nouvelle langue, laquelle choisirais-tu par intérêt ?

[ Annie ] J’améliorerais probablement mon italien pour converser avec ma belle-famille. C’est une langue que je trouve magnifique, elle est fluide et elle peut se deviner.

[ Fleur bleue ] Merci beaucoup pour ton généreux partage Annie, d’autres parents sauront certainement se retrouver dans ton témoignage et ton expérience de vie. Le mot de la fin t’appartient !

[ Annie ] Il ne faut pas avoir peur de se tromper, il faut essayer et se lancer dans l’apprentissage d’une langue avec des objectifs réalistes. S’exposer en famille à un maximum de langues, ça permet l’ouverture à la différence.

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Entrevue réalisée dans le cadre du 6e magazine de La Boite à Paroles. Pour télécharger le numéro complet, cliquez ici.